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MANAGEMENT, les Idées les plus simples sont souvent les meilleures.

Une gouvernance de qualité constitue un outil réellement stratégique pour l’entreprise. Or, il est relativement rare que les dirigeants la traitent comme telle et se préoccupent suffisamment de son efficacité. Pourtant, les administrateurs ne sont pas là seulement pour approuver les comptes en fin d’exercice. Ils ont un rôle de conseil très important à jouer car le dirigeant est souvent très seul pour décider et la collégialité dans la prise de décision est un atout majeur.

Les conditions d’exercice de la gouvernance sont évidemment fonction de la nature de la détention du capital. Dans le cas d’une société familiale, la famille détient l’essentiel du capital, et donc aussi l’essentiel du pouvoir. Il s’agit d’un cas particulier sur lequel nous ne nous appesantirons pas ici. Tout juste est-il utile de signaler au passage que, dans les sociétés familiales, il est recommandé d’être très prudent et très professionnel lorsqu’on décide d’employer des membres de la famille, ce qui, par ailleurs, n’est pas illégitime…

La gouvernance sera également différente selon qu’on aura affaire à une société contrôlée pratiquement à 100 % par un fonds de private equity, ou à une société à l’actionnariat dispersé. Dans le premier cas, le conseil d’administration se réunira plus souvent – au moins une fois par mois – et l’implication opérationnelle des membres du conseil sera beaucoup plus intense que dans une société cotée plus classique.

La composition du board est bien sûr centrale et les dirigeants doivent y réfléchir avec le plus grand soin. Est-il encore utile de préciser qu’un conseil n’a pas vocation à recaser tel ou tel naufragé du business, encore moins à jouer le petit jeu du renvoi d’ascenseur, et doit avant tout être composé de personnalités capables de participer activement à la définition de la stratégie ainsi qu’aux choix des moyens de sa mise en oeuvre ? Quant à la gouvernance proprement dite, elle a besoin d’être pensée et clarifiée pour jouer pleinement son rôle dans le développement harmonieux de l’entreprise.

Par ailleurs, dans les entreprises, quelle que soit leur structure juridique, les pratiques en matière de gouvernance dépendent aussi des habitudes, de la culture et des règles juridiques en vigueur dans leur pays d’origine. Mais, quel que soit le cas de figure, la gouvernance est un facteur de valeur ajoutée pour l’entreprise, à condition que l’on respecte un certain nombre de principes dont la plupart sont des principes de bon sens.

Composer une équipe resserrée et cohérente

Premier principe : il est important de ne pas avoir trop de monde dans un conseil, au risque de perdre en cohérence et en efficacité. Lorsque l’on fait le choix d’un administrateur, il faut aussi veiller à sa compatibilité avec les autres membres du conseil car il est essentiel que l’instance fonctionne bien en équipe. Cela fait d’ailleurs partie de la mission du comité de nomination d’interviewer les candidats et de vérifier que chacun va former avec les autres un groupe cohérent. Une démarche qui va de pair avec l’exigence de rigueur qui doit présider à la sélection elle-même. Il serait excessif de soutenir que les pratiques de « réseautage » et d’autoévaluation ont disparu, mais les comités de nomination – de plus en plus nombreux – contribuent à sélectionner les candidats avec un maximum de professionnalisme. Faire appel à un chasseur de têtes qui a mis en place des départements dédiés au recrutement d’administrateurs peut être une bonne solution pour évaluer l’efficacité du conseil et la performance de chacun de ses membres.

Contribuer à l’élaboration de la stratégie

Tout conseil a vocation à participer à la définition de la stratégie. Il y consacre en général chaque année une journée entière, mais l’exercice reste le plus souvent superficiel, voire cosmétique, sans que ne soient menés de véritables débats sur les options stratégiques fondamentales, parce que les membres du conseil n’ont pas les compétences requises pour en discuter au fond, parce qu’il n’y a pas, autour de la table, suffisamment d’administrateurs qui connaissent vraiment le business de l’entreprise. D’ailleurs, cette journée est souvent à l’image de ce qui se passe au cours de l’année dans les conseils : beaucoup de temps passé sur les présentations diverses et le compte rendu financier, et pas assez sur la discussion autour des points importants de la vie de la société, en particulier les options stratégiques. Dans les conseils d’administration, il y a souvent beaucoup d’administration et pas beaucoup de conseil.

Pourtant, il s’agit là d’une différence essentielle entre les boards de qualité et les autres : il ne sert à rien pour un président d’être entouré d’une douzaine de personnalités aux CV éblouissants, si celles-ci ne connaissent rien à son business. Dans un conseil, il est à notre avis nécessaire que la moitié des administrateurs connaisse le secteur dans lequel évolue l’entreprise. Quant à l’autre moitié, elle doit être composée en fonction des besoins. Par exemple, si l’entreprise est en pleine phase de développement international, il est important que la composition du conseil reflète cette priorité.

Lorsque je suis entré au board de CGI en 2008, l’entreprise nord-américaine souhaitait se développer en Europe et en Asie. J’ai été, à l’époque, le premier administrateur européen. Aujourd’hui, nous sommes deux Européens sur quatorze membres, ce qui est d’ailleurs encore modeste, dans la mesure où CGI réalise désormais plus de 50 % de son business en Europe.

De même, si elle amorce une diversification sectorielle.

Lorsque j’étais P.-D.G. d’Atos Origin, j’avais fait entrer un assureur au conseil car je souhaitais développer nos activités dans ce secteur, et il était utile d’avoir au board quelqu’un qui pouvait nous faire comprendre le domaine et nous ouvrir des portes.

D’une manière générale, toute nouvelle activité ou nouvelle approche mérite de voir entrer au conseil un professionnel qui a déjà emprunté le même type de parcours. C’est d’ailleurs la raison pour laquelle la composition d’un conseil ne doit pas être figée, mais évoluer avec l’entreprise.

Miser sur l’indépendance d’esprit

La question de l’indépendance nourrit depuis quelques années de nombreux débats consacrés à la gouvernance et à la composition des boards. Mais de quoi parle-t-on exactement ? Il y a bien sûr la définition classique qui figure dans le petit manuel de la gouvernance : un administrateur indépendant est un administrateur qui n’« entretient aucune relation de quelque nature que ce soit avec la société, son groupe ou sa direction, qui puisse compromettre l’exercice de sa liberté de jugement ». Une définition que l’on retrouve peu ou prou dans tous les codes de bonne gouvernance des entreprises, en tout cas françaises,
mais qui, poussée à l’extrême, ferait qu’on ne recruterait que des gens qui ne connaissent rien à l’entreprise dont ils sont administrateurs. C’est pourquoi il nous paraît utile de clarifier ici notre propre conception de l’indépendance.

Pour moi, l’indépendance, c’est le courage et, d’expérience, je dirai que le courage n’est pas une qualité très répandue, en particulier dans les très grandes sociétés cotées. Pourtant, il faut être capable de dire quelque chose de difficile dans un conseil, sachant qu’il existe de nombreux conseils où il est impossible d’exprimer son point de vue.

En outre, nous ne pensons pas que la notion d’indépendance fasse forcément bon ménage, comme on le professe généralement, avec le fait de n’avoir aucun intérêt financier autre que les fameux jetons de présence dans l’entreprise.

Je pense, au contraire, que l’on doit manifester son engagement d’administrateur par une participation financière au capital de l’entreprise. Quelqu’un qui n’est qu’un observateur et n’a pas investi financièrement dans la société n’apporte pas le même niveau d’engagement et de contribution à son conseil.

Choisir des administrateurs courageux

Lorsqu’on compose un conseil, il ne faut pas craindre d’y faire entrer la contradiction. Au contraire. Celle-ci est indispensable à son bon fonctionnement et à son efficacité.

Lorsque je suis sollicité pour entrer dans un board, je préviens toujours : « Si j’accepte votre proposition, vous devez savoir que je dirai ce que je pense ! » Le véritable administrateur indépendant n’est pas celui qui ne connaît rien au business de l’entreprise et que l’on a recruté plus ou moins au hasard pour respecter des règles formelles, c’est celui qui a le courage d’exprimer son point de vue sur telle ou telle question stratégique, même s’il bouscule le consensus. Souvent, dans les conseils, les administrateurs songent surtout à durer et à encaisser leurs jetons. Or, le courage individuel fait la qualité de la gouvernance collective. Il y a les administrateurs qui prennent acte. Il y a ceux qui viennent en appui de l’opérationnel, qui n’inventent rien, mais au moins s’investissent-ils pour favoriser le succès de l’entreprise et de ses dirigeants. Et puis il y a les administrateurs qui viennent nourrir la stratégie et c’est à ce niveau-là qu’il faut mettre le curseur.

Privilégier des administrateurs prêts à consacrer du temps

La valeur ajoutée d’un conseil est directement proportionnelle au temps que chacun de ses membres accepte de consacrer à sa mission. Or, il ne faut pas se le cacher, bien remplir une mission d’administrateur prend du temps. Notamment au début, lorsqu’il s’agit de se familiariser avec l’entreprise, ses métiers, ses sites de production et ses équipes. La première année, certaines entreprises proposent un programme précis au nouveau membre du conseil, une sorte de « grand tour » destiné à le familiariser avec ces différents éléments, voire lui demandent de participer à la grande réunion opérationnelle, organisée chaque année. La plongée dans les différentes activités est souvent exigeante, notamment s’il s’agit d’un grand groupe : dans l’industrie bancaire, par exemple, la gamme des métiers, dont certains sont très complexes, requiert un investissement en temps non négligeable.

Il est également important que les membres du conseil d’administration aient régulièrement l’occasion de rencontrer le management. Il ne s’agit pas de tout mélanger et encore moins d’encourager les membres du board à interférer dans la sphère opérationnelle, les règles doivent être strictes sur ce point, mais les administrateurs doivent connaître les personnes-clés de l’entreprise avec lesquelles ils pourront échanger aisément pour suivre, dans de bonnes conditions, le développement de la société et sur la nomination desquelles ils seront éventuellement amenés à se prononcer un jour ou l’autre. Or, il ne manque pas de sociétés où les cadres dirigeants sont incapables de mettre un visage sur un seul des administrateurs du conseil !

Éviter de multiplier les instances

Dans certaines entreprises, la multiplication des instances constitue un facteur de stérilisation. Lorsqu’elles sont pléthoriques, la « réunionite » guette, le temps tourne, qui aurait été mieux employé ailleurs, et, pour autant, il se passe peu de choses essentielles dans ces différentes instances où l’on finit par ronronner de concert… De ce point de vue, la formule du conseil d’administration nous paraît meilleure que celle qui marie conseil de surveillance et directoire, dans la mesure où un seul organe est plus efficace. Quand il y a deux instances, il y a forcément un risque que se créent des problèmes de communication entre les deux.

Pour éviter que le train-train ne s’installe au coeur du board, il est également utile de songer à faire évoluer régulièrement la gouvernance avec l’activité de l’entreprise. Le faire tous les deux ans environ nous paraît un bon rythme pour s’assurer qu’elle reste en phase avec l’évolution de l’activité et du management de l’entreprise.

Être administrateur, c’est comprendre les
activités et la stratégie d’une entreprise, en être
actionnaire, et ne pas hésiter à dire ce que l’on
pense. C’est un rôle responsable qui nécessite
d’y consacrer beaucoup de temps.

1313452788Bernard Bourigeaud et Jacques Brun
Les idées les plus  simples sont souvent les meilleures
Partie I – L’entreprise : une communauté motivée au service des clients
Chapitre 1 - Gouvernance, on demande des administrateurs engagés !
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